Claire Gantet et Flemming Schock (dir.),
Zeitschriften, Journalismus und gelehrte Kommunikation im 18.
Jahrhundert. Festschrift für Thomas Habel, Brêmes, Edition Lumière, 2014.

Claire Gantet et Flemming Schock (dir.),
Zeitschriften, Journalismus und gelehrte Kommunikation im 18.
Jahrhundert. Festschrift für Thomas Habel, Brêmes, Edition Lumière, 2014.

Cet ouvrage collectif s’inscrit dans le projet « Les périodiques savants de l’époque de l’Aufklärung, réseaux du savoir » (http://www.gelehrte-journale.de) initié par l’Académie des sciences et lettres de Göttingen, et dont Claire Gantet a présenté les principaux enjeux dans deux articles récents dans Dix-huitième siècle et la Revue d’anthropologie des connaissances. Engagé en 2011 et prévu aboutir en 2025, ce grand chantier de numérisation, réalisé en collaboration avec la Bibliothèque d’État et universitaire de Basse-Saxe à Göttingen, la Bibliothèque universitaire de Leipzig et la Bibliothèque d’État de Bavière, entend poursuivre le travail amorcé par Thomas Habel, qui a dirigé l’équipe ayant recensé les 128 journaux savants de langue allemande qui font l’objet de ce processus de numérisation. Le volume Zeitschriften, Journalismus und gelehrte Kommunikation im 18. Jahrhundert constitue des Mélanges dédiés à ce chercheur. 

Les journaux savants composent le maillon central de cet ouvrage divisé en trois parties. La première aborde un domaine plus vaste, et se consacre principalement à ce qui entoure les périodiques savants, soit les correspondances de journalistes et de savants, les institutions produisant ces imprimés, ainsi que la diffusion de ces périodiques. La deuxième se concentre sur les comptes rendus publiés dans ces périodiques. Chacune de ces deux parties comporte cinq contributions, tandis que la dernière n’en contient qu’une seule, qui se consacre au grand projet d’inventaire des imprimés en langue allemande produits au XVIIIe siècle.

Thomas Kaufmann consacre une étude à Joachim Oporin (1695-1753), formé à Wittenberg, Leipzig et Halle, puis professeur de théologie à Göttingen. Kaufmann aborde l’origine hétérodoxe des positions du théologien et montre qu’il utilise les journaux savants afin de nourrir et de diversifier ses connaissances.

Dans son analyse de la correspondance du journaliste Johann Christoph Gottsched (1700-1766) avec de nombreux confrères, Rüdiger Otto fait ressortir l’importance des interactions entre ces auteurs de périodiques de genres variés. Gottsched correspond avec des journalistes rédigeant des gazettes politiques, des journaux savants ou des moralischen Wochenschriften, pendants germanophones des Spectators. Ces lettres permettent aussi d’aborder le fonctionnement interne de ces périodiques.

La courte contribution d’Antonie Magen porte sur le philologue Christian Adolf Klotz (1728-1771), auteur d’une abondante bibliographie et directeur de trois périodiques. En se concentrant sur l’analyse d’une de ces lettres, Magen montre qu’il entretint de nombreux liens avec différents journalistes et érudits.

En analysant le Jenaischen gelehrten Zeitungen et le Teutschen Gesellschaft zu Jena, Riccarda Henkel met l’accent sur le rôle des institutions produisant les périodiques savants.  Tout en abordant le contexte de la production des journaux savants, l’auteure montre la pertinence de l’analyse de ces sources, lesquelles permettent d’aborder les sociétés savantes sous un angle différent de celui provenant de l’analyse des écrits produits par ces sociétés. Henkel justifie aussi la pertinence des journaux savants pour les lecteurs et pour ceux qui les produisent : d’un côté, les lecteurs peuvent accroître leurs connaissances avec des comptes rendus d’ouvrages souvent coûteux ; alors que de l’autre, tandis que l’académie augmente son rayonnement, ces périodiques savants mettent l’emphase sur les imprimés produits par les membres de la société ou imprimés dans la région de Iéna.

En analysant la diffusion des gazettes et journaux dans les cafés de Brunswick de la fin du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, Peter Albrecht démontre que cette forme de lecture de périodiques ne se limite pas qu’aux grandes capitales. Ainsi, par l’analyse des publicités intégrées dans les périodiques, l’auteur aborde, d’une part, les différents types d’institutions (cafés, clubs et cercles de lecture) proposant des périodiques à leurs clients, et de l’autre, les imprimés qui s’y trouvent, associant alors des institutions à certains types de lecteurs et certains types de périodiques.

Flemming Schock montre l’originalité de la forme du Novellen aus der gelehrten und curiösen Welt, de Johann Gottfried Zenner (1656-1721). Tout en reprenant en partie le modèle du Journal des Sçavans et du Philosophical Transactions, ce périodique innove en se destinant à un large public. La vulgarisation le place à la frontière du périodique savant, d’autant plus que l’auteur diffuse le savoir sous la forme de dialogues fictifs qui cherchent à divertir ses lecteurs. Schock montre cependant que le Novellen appartient au genre des périodiques savants, car bien que se rapprochant des gazettes sur le plan de l’actualité, ce domaine est exclusivement abordé au moyen d’ouvrages parus et non pas des événements eux-mêmes.

Holger Bönig aborde la controverse opposant Johann Mattheson (1681-1764) à Johann Christoph Gottsched, en analysant minutieusement les différentes étapes de l’âpre dispute qui les opposa pendant des décennies. Ces deux auteurs ne s’accordaient pas sur la nature de l’opéra et opposèrent leur position dans des pamphlets et des ouvrages.  Les comptes rendus produits et diffusés par les périodiques savants permirent de diffuser plus largement la polémique et de poursuivre, dans l’espace public, cette « querelle des Bouffons » à l’Allemande.

Claire Gantet aborde la controverse relative à la pédanterie dans les périodiques savants germanophones, qui devient centrale dans le monde allemand au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les journaux savants font bien sûr partie de la polémique, dans la mesure où l’hermétisme, la vulgarisation et la nature même de l’espace public sont au cœur de leur mission et du public auquel ils se destinaient. Perçus dans un premier temps comme des organes luttant contre la pédanterie baroque, la perspective se renverse au 18e siècle et sont davantage dénoncés comme des véhicules de l’érudition pédante.

Gerhard Lauer analyse la classification de l’humain par les sciences naturelles dans la littérature savante du XVIIIe siècle. Cette thématique ancienne redevient d’actualité et évolue avec le siècle, notamment suite à la hausse de la popularité des récits de voyage au milieu du siècle, et du développement conséquent de l’anthropologie. Lauer dégage le rôle important de l’Histoire naturelle de Buffon dans le renouveau de la classification humaine. Pour Buffon, les variétés animales et autres ne constituaient pas seulement une classe, mais possédaient une histoire : l’être humain s’inscrivait dans ce schéma. Les périodiques savants relaient cette vision, tant en France, en Angleterre, que dans le monde germanophone.

L’usage et la signification du concept de tolérance dans sept périodiques catholiques de la fin du XVIIIe siècle sont abordés par Claire Gantet et Maja Eilhammer. Les périodiques sont alors sélectionnés selon leur appartenance politique et leur ligne éditoriale. Ainsi, trois proviennent des territoires ecclésiastiques du Saint-Empire, deux de territoires appartenant aux Habsbourg, tandis que deux prennent ouvertement parti contre les Lumières. La définition de la tolérance varie selon les périodiques. Ainsi, tandis que ce concept possède une connotation positive, il est associé au déclin de la religion dans les périodiques s’opposant aux Lumières. Néanmoins, la connotation de ce concept dans plusieurs périodiques permet l’énonciation de critique contre d’autres religions, notamment afin d’accuser les protestants d’intolérance.

La contribution de Claudia Fabian porte sur le projet VD-18 (Verzeichnis der im deutschen Sprachbereich erschienenen Drucke des 18. Jahrhunderts), qui recense et inventorie les imprimés produits dans l’aire linguistique germanophone au XVIIIsiècle. Fabian situe le VD-18 en évoquant notamment les projets VD-16 et VD-17, portant sur les deux siècles précédents. Elle met aussi en contexte le projet « Les périodiques savants de l’époque de l’Aufklärung, réseaux du savoir » par rapport au VD-18, tout en évoquant les enjeux particuliers qui sont associés à l’inventorisation et la numérisation de périodiques.

En somme, la diversité des thèmes abordés en relation avec les périodiques savants démontre à quel point le projet « Les périodiques savants de l’époque de l’Aufklärung, réseaux du savoir » s’inscrit au carrefour de plusieurs chantiers d’histoire intellectuelle. En plus de montrer la possibilité de mener des recherches sur des thèmes variés en sollicitant ces imprimés, ce volume convainc aussi de la pertinence d’une réflexion relative aux périodiques savants et à leurs auteurs en ayant recours à d’autres sources que les périodiques eux-mêmes, notamment la correspondance. Ces Mélanges signalent aussi que les périodiques savants se déploient sous différents genres. Certains périodiques savants sont produits par les auteurs de gazettes politiques et de moralischen Wochenschrifte, ou partage des enjeux et des lignes éditoriales avec ces imprimés. Ainsi, plusieurs pistes de recherche relatives à l’étude des périodiques savants invitent à être poursuivies, ce qui sera facilité par l’extension de la base de données.

 

Simon Dagenais
Interdisziplinäres Zentrum für die Erforschung der Europäischen Aufklärung (Martin-Luther-Universität, Halle-Wittenberg)