Le vendredi 7 février 2020, 9h00 à 18h00
Une journée d’étude organisée par le GRHS et le programme de recherche EMMA.
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Malgré l’essor et le dynamisme récents de l’histoire des émotions, l’émotion collective – tant la notion même que ses usages – est longtemps restée à l’écart de la réflexion des historiens. Parmi les raisons d’un tel « oubli », le fait que l’histoire des émotions se soit avant tout nourrie de la psychologie cognitive qui pense l’émotion comme un phénomène individuel ; mais aussi, le lourd passé de la notion d’émotion collective, et ce, dès sa genèse. La notion transite, en quelque sorte, de la littérature vers les sciences sociales naissantes à un moment historique bien particulier, celui de la constitution d’une psychologie sociale entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle (Tarde, Le Bon, Durkheim, etc.), au temps où les « classes laborieuses » surgissent comme acteurs incontournables sur la scène politique. Depuis lors, l’émotion collective n’a jamais été un outil conceptuel anodin pour saisir le partage émotionnel à l’intérieur d’une collectivité de personnes : elle participe d’emblée d’un discours politique sur la foule, voire sur le peuple. Le plus souvent elle a servi à constituer la foule en sujet tout en l’amputant de tout projet critique, nourrissant une vision régressive des masses animalisées, par nature inaptes à se gouverner par elles-mêmes : selon cette vision, les masses sentent, elles ne pensent pas. À l’inverse, cette conception fusionnelle de l’émotion commune a pu nourrir un discours apologétique : la foule devint dès lors le lieu d’affranchissement du peuple, qui sait le vrai parce qu’il sent ensemble.
Bien que ces écueils aient souvent incité les historiens à se tenir prudemment à l’écart d’une notion biaisée par ses assises idéologiques, nous pensons au contraire que c’est parce qu’elle est problématique que la notion d’émotion collective doit être soumise au regard critique de l’historien. À une époque où la montée des populismes à travers le monde porte au devant de la scène politique la question des foules en émotion et des émotions de foule, où les sciences sociales ont commencé à proposer dans les vingt dernières années d’autres modèles de saisie du phénomène, il importe de mettre à l’agenda des historiens la pensée et l’image de la foule et son lien avec les enjeux et les modalités des usages historiquesde la notion d’émotion collective.
Programme de la journée ___
9h
Accueil
1. Histoire intellectuelle de la notion d’émotion collective et d’émotion de foule depuis le XIXe siècle
- 9h15 Damien Boquet (Aix-Marseille) et Piroska Nagy (UQAM), Introduction : Penser les émotions de foule en histoire – du topos à l’approche en sciences sociales
- 10h15 Ludivine Bantigny (Rouen) et Piroska Nagy (UQAM) : Événement et émotion collective. Épistémologie et approches comparées (Moyen Âge et XXe siècle)
11h15
Pause
2. Fabrique de la foule émue
- 11h30 Nathan Murray (Univ. Laval), Les tumultes de la multitude: cris, images et mouvements de la foule émue chez Cicéron
- 12h15 Pascale Goetschel (Univ. Paris I), Comment le cinéma d’actualité porte à l’écran les émotions collectives : les foules dans les Actualités Françaises (1945-1969)
13h-14h30
Lunch
3. La foule animée par l’émotion
- 14h30 Anne-Gaëlle Weber (UQAM), La colère de la foule au service de la construction de l’altérité entre chrétiens et païens : l’exemple de l’hagiographie missionnaire carolingienne
- 15h15 Lidia Zanetti Domingues (Univ. Londres – UQAM), Foules émues aux pieds de l’échafaud dans les chroniques italiennes du XIIIe et XIVe siècle
- 16h00 Nicolas Vidoni (Montpellier), L’émotion collective au défi de la foule. Le moment pré-révolutionnaire
16h45h
Pause
- 17h Sophie Abdela (Sherbrooke), Commotions carcérales : la foule prisonnière en émotion (Paris, XVIIIe siècle)
- 17h45 Conclusion sous forme de table ronde : L’émotion collective et le défi des sources historiques, de l’Antiquité à nos jours
18h30
Vin et fromage
Salle A-6290
Pavillon Hubert-Aquin, UQAM
1255 rue Saint-Denis,
Montréal (Québec)