Le Journal (1753-1789) d’un petit notable parisien : Siméon Prosper Hardy, en toutes lettres.

Les projets
en cours
des membres
du GRHS

Ce projet réunit
Daniel Roche
professeur honoraire au Collège de France ;

Pascal Bastien
professeur au département d’histoire
de l’Université du Québec à Montréal ;

et Sabine Juratic
et Nicolas Lyon-Caen
tous deux chargés de recherche CNRS à l’IHMC

 


L’édition intégrale des manuscrits de Hardy paraît aux éditions Hermann, en 11 volumes. Les sept premiers tomes (1753-1770, 1771-1772, 1773-1774, 1775-1776, 1777-1778, 1779-1780 et 1781-1782) sont désormais disponibles en librairie. Chaque volume présente une analyse thématique du manuscrit capable de rendre compte de la complexité et de la valeur exceptionnelle de sa composition. Les éditeurs ont d’abord étudié le projet d’écriture de Hardy (volume 1), sa sensibilité religieuse (volume 2), sa conscience politique (volume 3), puis ses observations particulières et uniques sur la police parisienne et ses transformations jusqu’à la Révolution (volume 4). Le volume 5 s’est ensuite intéressé au monde du livre et de la Librairie, dont Hardy fut un acteur et un témoin d’exception ; le volume 6 explorait la ville telle que Hardy l’avait écrite ; et le volume 7, qui vient tout juste de paraître, réfléchit à la circulation des informations et de la rumeur dans un Paris bouillonnant et insatisfait.

 

www.journaldehardy.org

Les historiens de la France du XVIIIe siècle ont souvent eu recours, depuis sa publication (presque) intégrale en 1857 à Paris, à la Chronique (1718-1763) parisienne d’Edmond Jean François Barbier : cet avocat de la rue Galande avait scrupuleusement recueilli les nouvelles et les faits divers dont il avait été témoin ou qui parvenaient jusqu’à lui, par la rumeur ou l’imprimé, dans les sept volumes manuscrits que conservent aujourd’hui la Bibliothèque nationale de France (manuscrits 10285 à 10291). En fait, aucune recherche sur la France de Louis XV ne peut, encore aujourd’hui, ignorer le travail de Barbier : tantôt récit circonstancié d’une affaire d’importance dans la politique du royaume, tantôt rubrique détaillée d’un événement plus ou moins important de la vie parisienne, l’avocat observait, notait et commentait une histoire en train de se faire et produisit ainsi une des sources narratives les plus riches de la France de la première moitié du XVIIIe siècle. Près de 5000 pages de notes manuscrites furent ainsi éditées, offrant aux chercheurs d’alors et d’aujourd’hui un instrument de travail fondamental.

Dès 1753 un apprenti libraire, le jeune Siméon Prosper Hardy, commença à son tour la rédaction d’un journal d’événements qu’il tint jusqu’en octobre 1789, couvrant ainsi la fin du règne de Louis XV et presque tout le règne de Louis XVI. Hardy écrivit ses Loisirs, ou Journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connoissance, sur les registres à l’origine destinés aux comptes courants de sa librairie, la Colonne d’Or : recopiant partiellement ou intégralement des pièces que d’autres – comme Barbier – auraient préféré coller, Hardy prit rapidement conscience de la valeur de son oeuvre pour la postérité et construisit son journal dans cette perspective, en citant constamment ses sources et en rapportant, en tant que témoin, les différents événements de Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : un Paris en pleine ébullition, saisi véritablement au jour le jour entre 1764 et 1789. Le texte de Hardy poursuit, en quelque sorte, le journal de Barbier et offre aux lecteurs un tableau extrêmement détaillé du quotidien parisien.

Le témoignage de cet homme du livre apparaît comme l’un des ensembles documentaires les plus considérables pour comprendre la société urbaine dans ses représentations et ses pratiques. Par son volume et par son organisation où entrent mêlés documents, extraits, racontars et observations personnelles, il prend place dans la lignée des grands journaux et mémoires fondamentaux édités au XIXe siècle : le greffier Pierre de l’Estoile, le bibliothécaire Buvat, les avocats Barbier et Marais, etc.  Particulièrement riche pour l’histoire des institutions, de la vie politique, de la société urbaine, de la culture et de la sensibilité avec ses troubles, ses émotions, ses loisirs et ses divertissements, il ouvre au chercheur tout ce que les jours ont pu offrir à l’œil et à l’oreille d’un petit bourgeois parisien pendant les trente dernières années de l’Ancien Régime.

Ce manuscrit immense de 4100 pages in-folio est demeuré à ce jour inédit : il ne restait accessible qu’aux chercheurs pouvant le consulter directement à la Bibliothèque nationale de France (manuscrits 6680 à 6687) ou à l’Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine (IHMC) de Paris, qui en conserve une reproduction microfilmée. Les entreprises éditoriales se sont succédées au cours du XIXe siècle, mais sans succès. Les célébrations du Bicentenaire de la Révolution française ont laissé croire un moment à une reprise du chantier, mais ce n’est que depuis l’année 2000 que le travail a véritablement repris.  Dans l’idée d’éditer Mes Loisirs il y eut, dès le départ, la volonté d’offrir à un plus large public de chercheurs et de curieux l’accès à ce témoignage fondamental ; mais il s’agissait moins de fournir un grand document de plus à l’histoire de Paris que de permettre, à partir de ce texte, de mieux comprendre les multiples thèmes d’histoire générale sur lesquels il permettait d’intervenir.

 


Portrait d’un homme lisant, anonyme, XVIIIe siècle. Musées de Langres. © Ville de Langres, Sylvain Riandet.