Professeure adjointe au département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques à l’Université de Montréal, Ersy Contogouris s’intéresse aux théories féministes, queer et postcoloniales dans l’art des XVIIIe et XIXe siècle. C’est son intérêt pour l’histoire de la caricature et de la satire visuelle qui fonde la conférence qu’elle a donnée au GRHS sur les caricatures des vitrines de marchands d’estampes autour de 1800.
Dans une rencontre qui s’est déroulée sous le mode d’une discussion informelle, Contogouris a saisi l’occasion de présenter un projet qui n’en était qu’aux premières étapes de son élaboration. Elle s’interroge sur la façon dont la caricature réfléchit sur elle-même en étudiant comment elle se représente. Pour les besoins de sa présentation, Contogouris s’est restreinte à la caricature britannique.
En premier lieu, Contogouris présente une caricature de James Gillray, Very Slippy-Weather (1808). Cette œuvre de l’artiste britannique est son fil conducteur tout au long de la rencontre et sert de point d’ancrage et de comparaison. L’image montre une foule attroupée devant une vitrine de marchand d’estampes alors qu’un homme trébuche au premier plan, à l’insu de cette foule captivée par les caricatures affichées.
Contogouris entame son interrogation sur la façon dont la caricature réfléchit sur elle-même en remarquant que la caricature prétend être un miroir du réel. Les caricaturistes affirment montrer la vérité et cherchent à démasquer les gens. Pour appuyer ses propos, elle montre quelques images où les personnages caricaturés contemplent des caricatures d’eux-mêmes qui sont en réalité des répliques parfaites de leurs visages. À l’aide d’une autre image de Gillray, Contogouris démontre la démarche des caricaturistes pour démasquer les gens lorsque des personnalités sont montrées en profil aux côtés de leur version caricaturée.
Ensuite, Contogouris traite de l’anxiété générée par les caricatures de vitrines de marchands d’estampes, laquelle se manifeste de plusieurs façons. Il y avait une anxiété reliée au pouvoir de l’image négative. Il existait une peur que les gens des classes inférieures aient moins de respect pour les gens de la haute société qui apparaissaient dans les caricatures. Quelques caricatures montraient la bonne manière de réagir face à l’apparence de son visage dans les vitrines de marchands d’estampes. Une caricature de John Raphael Smith par exemple, montrant la réaction appropriée d’un couple devant leur portrait caricaturé, neutralise ainsi le pouvoir de la caricature sur leur source d’inspiration. De plus, il y avait une anxiété autour des magasins d’estampes, car les foules assemblées devant les vitrines offraient un lieu propice aux crimes.
Contogouris termine sa présentation en faisant une brève comparaison avec la caricature française de vitrines de marchands d’estampes. Contrairement à la version britannique, la version française garde les regardants à l’extérieur. La mise en scène de l’image place souvent différents types d’écrans qui empêchent un coup d’œil à l’intérieur du magasin.
Plusieurs auteurs se sont attardés à l’étude des caricatures des vitrines de marchands d’estampes. James Bash Cuno, dans sa thèse de doctorat sur Charles Philipon1, consacre un de ses chapitres sur l’image des marchands de caricatures en Angleterre et en France où il fait brièvement mention de l’anxiété associée au rassemblement de foules près des marchands de caricatures2. Les recherches de Contogouris se rapprochent de celles de David Francis Taylor dans son ouvrage The Politics of Parody : A Literary History of Caricature, 1760-18303. Comme Contogouris, Taylor remarque la criminalité entourant les magasins d’estampes ainsi que le malaise engendré par la proximité des classes4. Consacrant un chapitre au marchand d’estampes et à leur représentation dans la satire5, Taylor s’intéresse aussi particulièrement à la caricature de Gillray, Very Slippy-Weather et porte une attention singulière à la représentation du public des magasins d’estampes à travers la caricature, notamment la figure du macaroni issue de la mode britannique de la fin du 18e siècle. Comme Margaret Cohen et Anne Higonnet à propos de la mise en abyme des cultural studies, Contogouris convoque les objets qui portent en eux leurs propres situations ou positions dans un désir d’interroger la manière dont la caricature réfléchit sur elle-même6.
En somme, la conférence-discussion, où les interventions étaient encouragées dans le but de faire avancer le débat et de faire ressortir des pistes qui pourraient aider la conférencière dans ses recherches, laisse entrevoir un projet de recherche fort intéressant. L’ouverture sur la version française des caricatures de vitrines de marchands d’estampes offertes à la fin de sa présentation, ainsi que celle offerte par un participant lors de la séance de questions sur une version québécoise de ces caricatures, montrent la richesse du chantier.
Julie Lachance
Histoire de l’art, UQAM
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1. James Bash Cuno, « Charles Philipon and La Maison Aubert : The Business, Politics, and Public of Caricature in Paris, 1820-1840 », Thèse de doctorat, Cambridge, Harvard University, 1985, 512 p.
2. Ibid., p. 53.
3. David Francis Taylor, The Politics of Parody : A Literary History of Caricature, 1760-1830, New Haven / Londres, Yale University Press, 2018, 320 p.
4. Ibid., p. 43.
5. Ibid., p. 40-68.
6. Margaret Cohen et Anne Higonnet, « Complex Culture », dans Vanessa R. Schwartz et Jeannene M. Przyblysky (dir.), The Nineteenth-Century Visual Culture Reader, New York, Routledge, 2004, p. 24.
BIBLIOGRAPHIE
COHEN, Margaret Cohen et Anne HIGONNET, « Complex Culture », dans Vanessa R. SCHWARTZ et Jeannene M. PRZYBLYSKY (dir.), The Nineteenth-Century Visual Culture Reader, New York, Routledge, 2004, p. 15-26
CUNO, James Bash, « Charles Philipon and La Maison Aubert: The Business, Politics, and Public of Caricature in Paris, 1820-1840 », Thèse de doctorat, Cambridge, Harvard University, 1985, 512 p.
TAYLOR, David Francis, The Politics of Parody: A Literary History of Caricature, 1760-1830, New Haven / Londres, Yale University Press, 2018, 320 p.
THE BRITISH MUSEUM, « Very Slippy-Weather », dans Collection online, 2019. En ligne. <https://www.britishmuseum.org/research/collection_online/collection_object_details.aspx?objectId=1480045&partId=1&searchText=gillray+slippy+weather&page=1>. Consulté le 2 février 2019.
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, « Contogouris Ersy », dans Répertoire du département – Département de l’histoire de l’art et des études cinématographiqes, 2019. En ligne. <https://histart.umontreal.ca/repertoire-departement/vue/contogouris-ersy/>. Consulté le 2 février 2019.